éloge de l'ombre
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extrait

J'ai publié naguère un article dans lequel je comparais le stylo et le pinceau; eh bien, supposons que l'inventeur du stylo ait été un japonais ou un chinois d'autrefois, il est bien évident qu'il l'aurait muni non point d'une plume métallique, mais d'un pinceau. Et ce serait non pas une encre bleue, mais quelque liquide analogue à l'encre de Chine qu'il se serait ingénié à faire descendre du réservoir jusqu'aux poils de ce pinceau. Par voie de conséquence, les papiers de type occidental ne convenant pas à l'usage du pinceau, il eût fallu, pour répondre à une demande accrue, produire en quantité industrielle un papier analogue au papier japonais, une sorte de hanshi amélioré. Et si le papier, l'encre de Chine et le pinceau s'étaient développés dans cette voie, la plume métallique et l'encre occidentale n'auraient jamais connu leur vogue actuelle, les partisans des caractères latins n'auraient trouvé aucune audience, et nos idéogrammes auraient été l'objet d'une prédilection unanime et puissante. Ce n'est pas tout : notre pensée et notre littérature elles-mêmes n'auraient pas imité aussi servilement l'occident et qui sait? peut-être nous serions-nous acheminés vers un monde nouveau tout à fait original...
J'admets volontiers que, tenus à l'écart d'une civilisation aussi remarquable, nous n'aurions réalisé que fort peu de progrès matériels; il suffit d'aller dans les campagnes de la Chine ou de l'Inde, pour y découvrir des modes de vie qui n'ont guère changé depuis les temps de Bouddha ou de Confucius. Mais quoi qu'il en soit, la direction que nous avions prise était sans doute celle qui convenait à notre nature propre. Et bien plus tard, peut-être, à force d'avancer par petites étapes, rien ne dit qu'un jour nous n'aurions pas inventé les instruments d'une civilisation avancée, l'équivalent des tramways actuels, des avions, de la radio, lesquels eussent été non plus des emprunts faits à autrui, mais des objets réellement adaptés à nos besoins propres.
Et si nous avions nous-mêmes inventé le phonographe ou la radio, il est probable qu'ils seraient conçus de manière à mettre en valeur les qualités propres à notre voix et à notre musique. Dans son principe, en effet, notre musique est caractérisée par une certaine retenue, par l'importance qu'elle apporte à l'ambiance, si bien que, enregistrée puis amplifiée par des hauts-parleurs, elle perd une bonne moitié de son charme. Dans l'art oratoire, nous évitons les éclats de voix, nous cultivons l'ellipse, et surtout nous attachons une importance extrême aux pauses ; or, dans la reproduction mécanique du discours, la pause est totalement détruite. Et c'est ainsi que pour avoir accueilli ces appareils, nous avons été amenés à dénaturer nos arts.

 
 

musique, pièce pour clarinette

     
  polaroids de virginie rochetti  
   
     
   
     
   
     
   
     
   
     
   
   
     
  programme nanterre-amandiers 1998