vengeance tardive
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libération - 9 juin 97

Deux ans après la création de la pièce, les -excellents- comédiens du TNS reprennent cette Vengeance tardive, occasion à ne pas manquer d'appréhender l'univers de Jacques Rebotier, poète, musicien et auteur, grand amoureux des mots, donc de leur dislocation. A l'écoute du monde, Rebotier fait sens de tout son et grapille ce qui passe à sa portée : coupures de journaux, émissions de télévision, dialogues impromptus, listes, réglements; et circulaires, cours de la bourse... Champion du coq à l'âne, du basculement, du train qui en cache un autre, du loufoque et du perplexe, Rebotier est bien trop fin musicien pour laisser les mots à vau-l'eau. Vengeance tardive est aussi une symphonie. Avec un thème discret mais récurrent. Un raclement : au fond de la scène, tout au long du spectacle, à gestes réguliers, un homme creuse une tombe. "La scène se passe dans un lieu dit/dans un lieu commun/dans un lieu communément dit scène/( ... )surune scène communément appelée pIateau, sur/lequel sont servis une oreille et deux bouches"

René Solis

 

télérama

Jacques Rebotier n'aime pas notre époque. Dans Vengeance tardive, cinquième spectacle qu'il a écrit et mis en scène, il lui règle son compte avec superbe. La virtuosité de la langue rappelle à la fois Raymond Queneau et Valère Novarina, dont il apparaît comme une sorte de cousin saisi d'humour. D'une plume alerte, il fait se télescoper déclarations d'amour proverbes détournés, questionnaires, coupures de presse, scènes de rupture et même la liste des citoyens autorisés à voter par procuration... L'exercice est délicat. Le résultat, hilarant.

Les acteurs - Alain Fromager, Sylvie Milhaud, Jean-Claude Bolle-Reddat et Jean-François Perrier, qui forment avec Charles Berling, absent pour cause de succès cinématographique, la troupe du Théâtre national de Strasbourg - se délectent visiblement à interpréter ce texte éclaté, Plutôt que de texte, on serait tenté de parler de partition, tant l'écriture rythmée et obsessionnelle de Jacques Rebotier, poète, bien sûr, et aussi compositeur est marquée par la musique contemporaine. Secouée, tordue dans tous les sens, enrichie de vocables nouveaux, la langue française semble, grâce au traitement de choc qu'il lui fait subir, se remettre à respirer. En un temps où elle croule sous l'abus de mots techniques, d'anglicismes et de formules à l'emporte-pièce, la venue d'un écrivain qui lui redonne de son génie et de sa saveur a quelque chose de réjouissant.

Un couple se querelle. Après avoir épuisé son stock d'injures, il en invente de nouvelles, d'une drôlerie et d'une vacherie ahurissantes. Jacques Rebotier, curieusement, renoue avec la tradition du cabaret. Mais un cabaret où les envolées saugrenues remplacent les bons mots et où le ton est davantage à l'anarchisme enjoué qu'à la hargne goguenarde. L'auteur s'en prend moins aux hommes politiques, cible habituelle des chansonniers, qu'au libéralisme à tout crin qui scinde la population en deux groupes, qu' il appelle, sans s'embarrasser de circonlocutions, les "have" et les "have not".

Autre cheval de bataille, les sitcoms, avec leurs personnages grotesquement convenus et américanisés, dont les comédiens font une parodie déclenchant, surtout chez les jeunes, d'inextinguibles fous rires qui soudain se figent. Quelque dix minutes avant la fin du spectacle, à la manière d'un instituteur qui rappellerait à l'ordre une classe dont il a organisé le chahut, Jacques Rebotier fait entendre la liste des crimes contre les corps et l'esprit perpétrés en cette rude fin de siècle.

Le ping-pong avec les mots d'un moraliste est une denrée qui, comme auraient dit nos grand-mères, ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval...

Joshka Schidlow

 

l'express - du 11 au 17 juin 96

Des mots dans le gaz

Vengeance tardive, de Jacques Rebotier, est un plat qui se mange froid, mais qui réchauffe le cœur
Artisan plombier du langage, Jacques Rebotier s'avère un redoutable organisateur de fuites : fuites de mots, fuites de sens, soudures au petit bonheur dans un monde où " tout peut être échangé mais [où] rien ne peut être changé ". Vengeance tardive est un plat qui se mange froid, mais qui réchauffe le cœur. Un cabaret politique et poétique rondement mené par les comédiens du Théâtre National de Strasbourg.
On y passe ici du coq à l'ane, d'une parodie de sitcom américain à un crime d'Etat argentin, d'une joute d'injures à un ballet d'andouilles. Rebotier insuffle les mots dans le gaz, fait péter la baraque syntaxique et observe les retombées. Commentaire : " Je suis venu, j'ai tout vu. j'ai rien pu. " Drôle, mais pas gai !

L.L.